Bons baisers de Pins Justaret

L’expérience de la solitude est une expérience bien fascinante, surtout lorsqu’elle est éprouvée vers vingt heures dans une gare déserte de la périphérie péri-urbanisée de la banlieue toulousaine. Quand il fait près de 5°C et que le vent d’autan souffle comme jamais. Qu’on a deux gros sacs et que les seules personnes pour vous tenir compagnie sur cet unique banc en béton sont les horribles visages dessinés à la bombe sur le mur en tôle d’en face.

La question n’est pas tant de savoir comment je suis malencontreusement arrivée sur ce banc, devant cette voie de chemin de fer unique, qui sert autant les allers que les retours, devant cette usine désaffectée, n’ayant d’autres occupations que de lire les graffitis tous plus grossiers les uns que les autres, gravés sur un mur jaunâtre qui ne mérite pas mieux. L’histoire serait drôle, drôle a posteriori, fatalement drôle donc. Mais ce qui est intéressant dans ce genre de situation, c’est la fraction de seconde où la solitude est ressentie non pas comme une douleur, mais comme un profond sentiment de non-être. Ou plutôt d’être au sein d’une immensité sans limite. Ce moment précis où l’on descend du train sans savoir où l’on est, ni pourquoi on y est. Ne pas être seulement perdu, mais être aussi face à son propre désarroi. Attendre une demi-heure, une heure, une heure et demi dans le froid et la solitude, non pas des champs de coton, mais de ces gares désaffectées. Les ampoules des lampadaires sont vacillantes, et l’espoir d’un retour prochain toujours déçu lorsque l’on prend les phares des voitures qui déboulent sur la départementale d’à côté pour la lumière messianique des phares de TER. On peut toujours tenter de tourner en rond, mais le contraste entre l’immensité du vide et l’étroitesse du quai est saisissante. Se sentir écartelé entre l’infiniment grand de la solitude, et l’horriblement petit de l’espace à s’approprier. Heureusement les téléphones sont là pour épancher cette solitude, pour avoir l’impression d’avoir ses proches dans sa poche. On se ronge un ongle. Puis un deuxième. Debout. Assis. Collé pour le mur. Contre le poteau. On relit l’affichage. Toutes les deux minutes. Encore un ongle. On se frotte les mains parce qu’il fait vraiment froid. Un train qui passe dans le sens inverse. Deux minutes. On tourne en rond. On répond aux SMS en retard. Trois minutes. Le temps n’a jamais défilé aussi lentement que dans cette gare de Pins-Justaret. Juste Arrêt. Je crois qu’elle porte finalement bien son nom. Et c’est bien là  sa seule qualité, celle de se prêter aux désespérants jeux de mots, dans la solitude du vent glacé qui fait frémir en se glissant sous les vêtements.

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