01/22/13

Le train

Le ronronnement du train me berce et je sens ma tête cogner de manière répétitive contre la fenêtre. Je n’ose pas encore mettre mes jambes sur le siège vide à côté de moi, mais dieu sait que j’en meurs d’envie. Le trajet est long, interminable. Je vois une multitude de paysages défiler devant moi, du calme de la Beauce au vide de la Creuse. Je regarde les gens monter et descendre, inlassablement la même danse qui se met en scène devant moi. Les corps se meuvent toujours dans une même ritournelle. Ils se lèvent, puis lèvent les bras, agrippent leurs mains sur les sacs dans les portes-bagages, grimacent. Alors la personne la plus proche réalise les mêmes mouvements, dans un mimétisme presque parfait et tous les deux, à l’unisson, courbent l’échine et posent le bagage sur le sol encore instable du TGV. Les deux nuques se redressent, se saluent, et la danse continue. Les épaules se cognent, des corps trébuchent au moment de l’arrêt final. Puis les portes, comme des rideaux de velours, s’ouvrent puis se referment, laissant ces acteurs s’enfuir dans les coulisses de la mémoire. Je constate avec toujours autant de délices que rien ne change à chaque arrêt, que cela soit Châteauroux, Orléans ou Limoges, que cela soit des enfants, des femmes enceintes ou de vieux messieurs, j’assiste toujours à cette danse quasi-universelle. Avec une seule hâte, mettre moi-aussi les pieds sur la scène, participer pour enfin fuir de ce train. 

 

03/18/12

Les gens heureux

Les gens heureux sont toujours des gens suspects. Une jeune femme marchait seule dans la rue, le regard brillant, le sourire aux lèvres, les dents découvertes. Elle avançait lentement, les cheveux se balançant sur ses épaules. Nos regards se sont croisés l’espace d’une seconde et j’ai pu constater que sa bonne humeur, sa réjouissance n’étaient pas communicatives. Elle était effrayante. Je me suis alors rappelée d’une autre jeune femme qui lisait des poèmes chrétiens à voix haute dans le métro et les regards des gens autour d’elle étaient aussi interloqués qu’inquiets. Sait-on jamais ce qu’un religieux peut avoir dans l’esprit de nos jours. Il y avait également cet homme étrange qui riait à gorge déployée en marchant, pris d’un fou rire alors qu’il était seul, place Wilson, sans personne avec qui partager ces éclats de rire alors irrationnels aux yeux des spectateurs. C’est ce décalage avec la normalité attendue du passant qui est effrayante. Ni écouteurs dans les oreilles, ni pas pressé, la mine n’est pas neutre.
Manala
Introducing Manala
On pardonne aisément un visage renfrogné, mais pas la vision ostentatoire du bonheur d’autrui. Si elle peut être énervante, comme ce sentiment face à la jeune fille qui psalmodiait de la poésie, cette joie qu’on ne peut communiquer à autrui est surtout inquiétante car vouée à l’incompréhension. Et quand mon regard a croisé celui de cette fille au sourire trop grand pour être sincère, j’ai immédiatement pensé que ce regard illuminé était incroyablement fort — de ces regards qui font justement un air halluciné, un air qui provoque l’angoisse. Probablement de ces peurs qui vous font l’effet d’un miroir urbain vous rappelant que vous, vous êtes de ces personnes qui avancent avec un pas vif, le visage fermé, les écouteurs dans les oreilles.
Et c’est ce reflet qui est effrayant : celui d’une triste normalité qui ne revendique même plus son droit à la singularité et au bonheur.
01/14/12

Toulouse

Je me promène dans les rues toulousaines et constate désormais qu’elles ne représentent plus rien de vivant. Ma ville est devenue une ville-tombeau car une ville désormais plus pleine de souvenirs que de promesses. J’ai beau découvrir des choses nouvelles, des panneaux commémoratifs rajoutés au fil des élections parce qu’il est toujours bon de se souvenir qu’untel a été fusillé par-ci, ou de nouveaux magasins quand d’autres disparaissent, toujours avec douleur, surtout lorsqu’ils étaient installés sur la place du Capitole depuis bien des années, j’ai l’impression de tout connaître par coeur. Je passe dans les rues parallèles à la rue du Taur et compte les appartements que j’ai pu visiter ou cotoyer au fil des années : ici j’ai dansé jusqu’à 5 heures du matin, là j’ai bu à en prendre la raison, là-bas j’ai survécu à la fête de la musique en riant à m’en casser la voix. Un peu plus loin, j’y ai souvent bu du thé noir en parlant de tout et de rien. J’ai révisé mon premier concours dans ces bibliothèques et j’ai fui celle où j’avais passé trop de temps, malgré son plafond baroque et sa clarté confuse.
Rue du Taur
J’ai fait les trois-quart des cafés de la place Saint-Sernin, ai mangé un nombre incalculable de cookies de la boulangerie du coin. J’ai zoné dans la basilique sans savoir pourquoi et ai longtemps refusé de rentrer dans la crypte avant de m’y résoudre, condamnant le seul inconnu du lieu à s’ouvrir à moi. J’ai laissé quelques cierges, toujours sans savoir pourquoi, et ai longtemps admiré les croix gravées dans le mur par les pélerins de Saint-Jacques-de-Compostelle. J’ai goûté aux thés glacés de la terrasse du musée Saint-Raymond, j’ai traversé les rues étroites, ai imprimé la forme des volets verts et bleus qui s’ouvrent et se ferment tous les jours sur la brique rose. J’ai couru le long de la Garonne, pédalé sur les berges, admiré la trop célèbre vue de l’Hôtel-Dieu pendant un coucher de soleil, tandis que le pont Neuf s’éclaire.
Ce goût de déjà-vu, quand bien même tout se réinvente, me fait penser que je suis peut-être enfin arrivée à m’installer durablement dans une ville et que du coup, il faudrait songer à s’en aller pour mieux revenir et pouvoir dire sans lassitude, en levant les yeux devant ces volets toujours identiques « Vous êtes toujours là » et rajouter : « je suis enfin chez moi ».
11/21/11

Façade d’église

L’inconnu du quotidien.
Cela peut ressembler à un oxymore mais c’est une contradiction que j’essaie de mettre en perspective tous les jours. Tous les jours, la même radio sonne à la même heure, et j’écoute les mêmes animateurs proposer le même jeu où des candidats chaque jour similaires échouent aux mêmes dernières questions. Et je déteste toujours le ton faussement éploré des animateurs qui, cachés sous une chaleur humaniste purement radiophonique, n’en ont au fond absolument rien à faire de cette n-ième défaite. Mais chaque jour, les questions changent et même si je déteste écouter un jeu le matin (c’est d’ailleurs souvent le moment même où je décide, après avoir pesté 50 fois à propos de ma quotidienne non-motivation matinale, de mettre un pied à terre), je ne change jamais la radio.
Quand je sors de chez moi, en ayant tenté de varier le fard à paupière qui finit toujours indubitablement pas être le même, je passe donc devant cette église. L’église Sainte-Germaine. Depuis 5 ans maintenant que je suis dans cet appartement, je n’y ai jamais mis les pieds.
SAINT-AGNE
Et tous les jours, lorsque je passe devant et que j’admire son clocher, je me dis qu’il FAUT que j’aille voir ce qu’il s’y passe dedans, admirer les statues christiques, le bénitier, les vitraux, lire les prospectus, la réclame catholique habituelle, hésiter à mettre un cierge, lire la vie des saints, faire claquer les talons sur le marbre, profiter du silence. Mais je ne le fais jamais. Je regarde l’église sans même ralentir le pas en me promettant d’y aller la prochaine fois, sachant pertinemment que je n’irai pas. Parce qu’avoir un espace inconnu dans un paysage appris par coeur, je trouve cela stimulant. Ca ne pimente rien, ça permet juste d’imaginer. Et de se mentir à soi-même en disant que c’est un choix volontaire quand bien même l’on sait qu’il ne faut pas ralentir le rythme pour ne pas être en retard sur le planning préparé des jours à l’avance, dans lequel un instant de rêverie et de déambulation n’est pas prévu.
Faire semblant de garder l’inconnu du quotien pour lui donner un faux relief, un relief de façade d’église où les gens ne se retrouvent que pour écouter un requiem.