Partie d’échecs

La fin du mois d’août est toujours déprimante. Excitante. Je songe à toutes ces choses, à ces vagues dans la Manche que j’aurais voulues plus fortes, aux pas qui s’enfoncent dans le sable mouillé parce que la marée est basse, aux gaufres dévorées sans le soucis des calories, à ces livres abîmés dans la valise, aux kilomètres parcourus le long de la côte, à ces parties d’échecs où je n’arrive jamais à garder mes deux fous jusqu’à la fin. Parce que j’ai beau les libérer dès les premiers coups comme il me l’a appris, j’ai beau faire avancer mes pions B2 et G2, j’ai beau tenter de les protéger avec des tours qui finissent toujours par être encerclées, avec une reine qui bouge parfois trop, avec un cavalier qui se mord toujours la queue, je les perds toujours. Peut-être parce que je n’ai pas la vocation de voir les choses en diagonale. Et je perds. Je m’y perds. J’oublie le roi, je sacrifie des pions pour sauver un royaume chancelant, un royaume qui n’est plus protégé, un royaume bancal. La reine finit toujours sur l’échafaud au moment où elle ne s’y attend pas. De manière lâche quoique toujours différente. De manière révolutionnaire donc. Les tours s’écroulent trop vite et les cavaliers deviennent fous, à cavaler dans des directions purement aléatoires, trois cases à droite, une en haut, deux à gauche. Je les imagine volontiers les yeux rouges, la bave blanchâtre perlant sur le mors. C’est mon côté théâtral. De toute manière, je le sais, ils le savent, ils sont condamnés. Alors autant disparaître avec panache. Le Roi finit toujours seul, comme tous les rois. D’abord il se protège, puis fuit, mais est vite encerclé. On peut résister longtemps à un siège, mais longtemps, ce n’est pas toujours. Alors lui-même disparaît et j’entends toujours le même refrain : Echec et mat.

Quand les vacances s’achèvent, c’est toujours un échec au roi. Et pourtant, c’est excitant. Parce que l’on sait que la partie va recommencer, que l’on va reposer les mêmes pions sur les mêmes cases, revoir les mêmes fous, les mêmes tours. Parfois on décide de changer de couleur. Alors le mois de septembre prend un air différent, gardant pourtant un air de déjà-vu. Alors seulement je peux reprendre mon agenda et repartir sur un rythme effréné. Un rythme que je connais déjà : faire sortir les pions B2 et G2 et après… Après la partie recommence.

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