01/18/18

Jeu de rôles – Antoine

Ça allait donc être ça ma vie pour les prochains jours : le blanc impersonnel d’un lit dans lequel des centaines d’autres se sont allongés, couchés, ont dormi, ont fait l’amour, se sont disputés, se sont réconciliés, ont mangé, lu, jouit, regardé la télé, bref ont vécu. Des draps qui ne sont pas les miens et une chambre tellement standardisée qu’à l’intérieur on ne sait plus vraiment dans quelle ville on dort. Entre Paris, Rome ou Lisbonne, je vous mets au défi de trouver une différence à votre réveil. Au lieu de respirer l’odeur de mon foyer, de caresser les cheveux et les seins de ma femme, au lieu de choisir une nouvelle serviette de bain pour la semaine, de mettre mes pieds dans mes chaussons et d’errer en pyjama aussi longtemps que cela me plairait, il y aurait des odeurs standardisées, des horaires de déjeuner et de dîner et une inconnue qui viendrait vérifier que mon lit est bien fait et que ma poubelle de salle de bain a bien été vidée. Jusqu’à ce que je remonte dans un avion, que j’admire un paysage à couper le souffle dans un habitacle qui paradoxalement manque d’air pur et que je reproduise cette petite danse lyophilisée dans le même hôtel standard mais à l’autre bout du monde. Cette perspective m’a empêché de fermer l’œil cette nuit-là.

01/2/18

Jeu de rôles – Antoine

– Non cette fois-ci papa j’ai l’impression que c’est différent. Quelque chose s’est brisé, on a trop tiré le diable par la queue, je crois que l’on s’est fait trop de mal depuis quelques années.

– Tu l’aimes toujours ?

– Oui je crois

– Tu crois ? L’amour, mon garçon, ça ne se croit pas, ça s’affirme haut et fort, ça se crie sur les toits et ça se pleure au petit matin

01/1/18

Jeu de rôles – Laurence

Il a repris son souffle, scrutant mon visage, à la recherche de la moindre émotion. J’ai figé mon visage, perdue entre la tristesse, l’indignation, la colère, la douleur et l’incompréhension. La seule chose que j’ai pu répondre :

« Tu me racontes ça pour te soulager la conscience mais tu es au courant que je ne suis pas prêtre ? Que je n’ai pas vocation à supporter la boue des autres juste pour les soulager de leurs erreurs ? Si tu cherches une rédemption, va dans une église. »

Ce jour-là, quelque chose s’est brisé entre nous. Chaque heure qui passe n’est qu’une tentative vaine de réparer le mal qui a été fait, des tentatives empreintes d’incompréhension, de tristesse et bien entendu de mal-être. A chaque vol me revient cette image mentale qu’il a sournoisement mise dans mon crâne. Ce peignoir blanc, son corps déshabillé, enlacé dans les cuisses d’une autre, le souffle s’accélérant, leurs bouches s’arrachant l’une à l’autre, les mains dans ses cheveux, les mains de cette fille s’appropriant ce que je pensais être mon territoire pour toujours. Tous ces détails qu’il a pu me donner pour se soulager la conscience comme on va à confesse hantent les trous d’ennui de mon esprit. Tantôt brune, tantôt blonde, parfois en tout point semblable à qui je suis et parfois si différente que cela en est troublant, cette fille est devenue le héraut d’une trahison qui nous décompose à petit feu, comme un cadavre pourri sous terre. J’aurais aimé qu’il soit fort, j’aurais aimé à défaut de ne pas céder à la tentation, qu’il ait le courage de garder cet événement enfoui au fond de sa mémoire, là où se rangent les choses honteuses, interdites ou secrètes de l’existence.

10/14/17

Jeu de rôle – Clémentine

Je les ai regardés se disputer cachée dans l’obscurité de ma chambre. Quand tombe la nuit à Paris, rares sont ceux qui pensent à immédiatement fermer leurs volets. C’est le cas du couple Vuillemin que je regarde vivre de temps à autre. Ils sont fascinants les Vuillemin, fascinants dans leur façon de jouer des rôles selon qu’il soit devant ou derrière leur porte d’entrée. La fenêtre de ma chambre donne directement sur leur salon. En me penchant un peu, je peux également admirer leur chambre et un morceau de leur salle de bain. Celle que je préfère regarder, c’est Madame de Vuillemin. Avec ses grands airs, ses boucles d’oreilles toujours assorties et sa coiffure toujours propre, c’est moi qui ai décidé de l’appeler Madame de Vuillemin. Son vrai nom, c’est Vuillemin et c’est le nom de son mari. Mais je trouve que la particule lui va si bien. Il m’est d’ailleurs déjà arrivé une fois de lui dire « Bonjour Madame de Vuillemin » quand je l’ai croisée dans le couloir. Elle a haussé les sourcils et a répondu un « bonjour » qui signifiait « c’est qui celle-là ? ». Mais moi, j’ai bien vu qu’au fond, ça lui avait fait plaisir. Le matin, elle part travailler toujours à la même heure : à 7H05 tapantes, elle traverse la cour qui sépare nos deux immeubles pour se rendre à son bureau. En discutant un peu avec papa et maman, j’ai cru comprendre qu’elle travaillait dans un grand lycée parisien mais je n’ai pas réussi à savoir lequel. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas le mien. Papa n’a pas été capable de me dire ce qu’elle y faisait mais à bien regarder ses tenues, je pense qu’elle doit être quelque chose comme principale. Ou peut-être prof de français. Il y a beaucoup de livres dans le salon et son mari n’a pas l’air d’être un grand lecteur. J’imagine que ça doit être elle du coup.

Je l’aime bien, Madame de Vuillemin, même si elle n’a pas l’air heureuse. Son mari s’absente souvent et je la vois souvent plusieurs jours d’affilée seule à regarder la télé le soir, même si elle a parfois la compagnie. Des copines qui viennent boire du vin ou des hommes qui passent lui rendre visite. J’ai remarqué qu’il y en avait un en particulier qui venait régulièrement mais je n’ai pas encore compris qui il était. Peut-être son frère. Mais il arrive ces derniers temps assez souvent à Madame de  Vuillemin de se pencher à la fenêtre de salon et de fumer des cigarettes avec un regard particulièrement vide. Quand elle fait ça, je fais attention à ne pas me faire remarquer même si j’ai envie de la scruter encore plus en détails. C’est quand elle pense que personne ne la regarde qu’elle dévoile son vrai visage et on peut y lire beaucoup de mélancolie. Elle tire sur sa cigarette comme si elle avait besoin de remplir toute sa cage thoracique de quelque chose, pour ne pas être totalement vide. Elle fume souvent tardivement, vers 22 heures ou 23 heures. C’est pratique pour l’observer car je n’ai qu’à faire semblant de dormir, en laissant un interstice dans mes volets pour regarder. Ces derniers temps, elle porte un peignoir de soie japonais. Elle est belle dedans, j’aimerais bien avoir son élégance plus tard, c’est une dame, Madame de Vuillemin, même quand elle a les cheveux en bataille ou même quand elle a le regard vide de celle qui se demande pourquoi elle fait ce qu’elle est en train de faire.

Alors elle fume, je la soupçonne parfois de pleurer et elle s’endort seule dans un grand lit certainement un peu vide comme elle, mais le lendemain, à 7h05, je l’observerai passer dans le couloir qui mène à la porte d’entrée de notre immeuble commun et elle sera un mélange impeccable de distinction et d’autorité. D’ailleurs je reconnais désormais sa présence au claquement sec de ses talons sur le béton. Il y a quelques femmes à talons dans la résidence et c’est amusant d’essayer de deviner qui elles sont à travers le bruit de leurs pas.