07/30/17

Up in the Air

La seule chose dont je me souviens, c’est le ronronnement réconfortant du moteur qu’on allume. Un bruit reconnaissable parmi tant d’autres, mais dont la puissance me donne une sensation de sécurité. Je suis assise dans un fauteuil, la tête appuyée contre le hublot. Je n’ai même pas eu le temps de voir le décollage.

Lorsque j’ouvre à nouveaux les yeux, il n’y a que du bleu à l’horizon. Parfois quelques touches de blanc, de celles qui secouent quelques instants et qui peuvent parfois lever le cœur, mais généralement ce n’est qu’un nuancier cyan dans le ciel. Au-dessus des nuages, loin des tumultes de la terre ferme, nous volons. 

Je ne sais pas vraiment où nous sommes et à vrai dire, cela me rassure. Ce vol, c’est un moment de quiétude arraché à la vie réelle, un apaisement octroyé par la force et qui ressource. Qui que vous soyez, je ne serai pas joignable. Vous ne saurez pas même où je me situe sur la surface du Globe : pour la seule fois de la journée, je vous échappe. J’échappe au reste du monde et je peux enfin être moi-même. Je peux lire ce livre tant de fois commencé et jamais terminé, prendre le temps de découvrir les journaux coincés au niveau de mes genoux et même discuter avec mon voisin. Une hôtesse me demande si je préfère le salé ou le sucré. Les nuages me font penser à des montagnes de Marshmallows. Ce sera sucré pour cette fois.

Parfois, à travers le hublot, il est possible de distinguer nos voisins des airs. D’autres avions quadrillent le ciel en laissant une traînée blanche derrière eux. Voie lactée de vapeur d’eau, vous êtes la preuve que si les hommes peuvent toucher le ciel, cela sera de manière éphémère. Promis, nous ne faisons que passer.

Le bourdonnement continue de mon navire céleste me berce à nouveau. Je ferme les yeux.

L’avion est plein. Mon cœur l’est tout autant.

01/13/17

Quatrième mur

L’acteur est nu sur la scène. Devant plus de 600 personnes qui n’arrivent pas à détacher leur regard, dans le silence pesant d’un théâtre plusieurs fois centenaire, il est recouvert d’une épaisse cendre. Son visage porte le secret d’une âme qui s’est abandonnée pendant plus de deux heures et pourtant, dans un instant, elle va réapparaître – une seconde de silence, comme pour mieux comprendre, se rappeler, casser le quatrième mur et revenir à la vie. Reprendre son souffle pour vérifier que ce qui vient de se passer n’était pas réel, n’était qu’illusion, n’était pas la vie mais une interprétation de la vie.

Puis il y a ce geste, ce technicien qui vient apporter à l’homme nu un peignoir à nouer le long de son corps, comme si ce dernier était devenu au même instant honteux. Couvrez cette vérité que je ne saurais voir. Cette seconde précise où le comédien passe du rôle à la réalité, de l’expression artistique à l’obscénité d’une nudité publique me fascine.

Ce tissu noir descendu comme un rideau tombe sur la scène comporte en lui un degré de poésie que l’on tend à oublier. Une vulnérabilité qui pousse le comédien à son plus haut degré d’humanité. Alors seulement peut-il saluer.

 

09/4/16

Nitroglycérine perverse

Tu penses aux autres en te regardant le nombril et tu parles tellement qu’on en respire mal. Tu es bleue dans la tête, parce que cela fait bien, surtout sur ta page bleue, rouge dans le coeur parce que c’est plus correct et noir dans les jambes parce qu’il faut bien courir. Tu parles de religion parce que tu penses cela important, mais finalement la pensée religieuse, tu n’en vois que les flèches qui indiquent la pensée d’autrui sur Twitter. Autrui est un autre je. Autrui est je.

Tu parles politique aussi parce que tu es engagée. L’engagement c’est d’ailleurs la base de ton existence, sauf dans tes relations amoureuses, amicales, professionnelles, sexuelles, musicales. Trahir, c’est finalement toujours s’engager.

Tu écris un peu, chante parfois, souffle dans ton pipeau pour faire croire que tu as tout vu, tout traversé, tout entendu. Ta sagesse hypocrite te conforte dans ta solitude. Celle que tu ne vois pas. Ne sens pas. N’entends pas. Comme la rumeur qui s’étale grassement avec le vent et l’odeur acre de tes mensonges. Tu es belle et tu le sais. Mais pas belle comme tu le penses, belle comme la mer qui s’apaise après une tempête mais qui charrie avec elle les sacs plastiques dégueulasses laissés sur la plage le dimanche. Belle comme un oubli volontaire. Belle comme leur déchirure.

Tu manges fort, tu parles encore trop, tu te regardes dans le miroir et tu vois une personne fiable, dynamique, courageuse. Tartufe polymorphe, nitroglycérine perverse, tu contemples l’explosion de ton image en multiples fragments numériques, comme autant de nouveaux reflets dans lesquels admirer l’effroyable hydre de Lerne qui naît du haut de tes cheveux bouclés.

 

08/29/16

Ecrire comme respirer

Il paraît qu’il faut écrire pour respirer. Qu’on apprend à écrire qu’en écrivant. On écrit d’ailleurs que pour apprendre à écrire. Je vois les autres écrire, parler, publier, utiliser les mots avec une plus grande élasticité qu’un chewing-gum, manipuler le verbe comme on tord un cintre. Je les lis, j’admire et je respire. Le grand air.

Il fait chaud où je suis assise, coincée contre un mur pour qu’on ne voit pas mon écran, pour écrire sans en avoir l’air, écrire en tapant juste des mots sur un clavier noir, comme on taperait un email anodin ou un rapport important. J’oublie juste que le mur est de verre, donc transparent. Pourtant il me faut écrire. Du moins réapprendre à écrire. Il semblerait que la littérature, ou du moins les tentatives de littérature, ou tout simplement les lettres tapées sur un clavier noir se suffisent à elles-mêmes, s’exprimant dans un open space faussement moderne comme dans un cahier d’écolier.