02/1/14

Une biographie

Écrire une biographie est une bien belle aventure que je suis en train d’expérimenter cette année. Tout le monde me semble biographiable puisque toute vie mériterait à mon sens d’être tirée de l’oubi, ne serait-ce qu’un seul instant. Et lorsque l’on s’attaque à l’un des plus gros personnages de la vie culturelle lyonnaise des années 1950, autant dire que la recherche prend une ampleur toute particulière. Archives à foison, de nombreux témoins à interroger, famille, amis, collègues… Recréer le réseau d’un homme n’a jamais paru autant réalisable en quelques mois.

La vraie question que je me pose, c’est comment faire la différence entre du harcèlement post-mortem et de la sacro-sainte « Recherche ». Si la personne avait été encore vivante, j’aurais probablement déjà eu un procès pour harcèlement (réel, virtuel, aucune différence ici) ainsi qu’une interdiction d’approche. Pourtant, ici, même le ministère de la communication, en charge des archives privées interdites de consultation moins de 50 ans après la mort de la personne, me donne sa bénédiction de fouiller « au nom de la recherche universitaire. » On ne m’a demandé aucune justification, aucune carte d’étudiant, aucun gage pour savoir si j’effectuais réellement un mémoire. Et la vie privée d’un homme s’ouvre à moi.

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Aujourd’hui, ce n’est que son réseau proche que j’ouvre. Un peu moins proche également. Organiste dans une église à 16 ans, je suis allée rencontrer l’actuel conservateur de l’orgue. J’ai envoyé des courriers dans son école primaire, dans son syndicat métallurgique, dans son école de musique, à la mairie, à ses enfants, à ses petits-enfants. J’ai fouillé dans son livret de famille, ai discuté librement de la mort de deux de ses enfants, des souvenirs de la première guerre mondiale et de la mort de son frère au front, de son mariage, des enterrements, de la vie somme toute. Je n’ai eu comme limite que la seule barrière morale que je me suis imposée et qui parfois, au fil des discussions, se déplacait toujours un peu plus loin, « juste pour mieux comprendre. » Je me dis du coup qu’à laisser trop de traces, on devrait plutôt construire quelque chose qui permette au futur de ne pas trop réveiller le passé.

Edit: j’ai officiellement trouvé son numéro de sécurité sociale. Tout va bien.

10/25/12

Arrivée à Lyon

En partant enfin de chez moi, je ne pensais pas passer tant de temps dans des halls de gare. Et pourtant, deux fois par jour, parfois plus, je me retrouve à zigzaguer entre les gens pressés et les valises qui cognent les chevilles. Je lis sans me lasser les panneaux d’affichage, ces lettres jaunes mouvantes sur leur fond noir qui indiquent des endroits qui semblent toujours facilement accessibles ; de Genève à Turin en passant par Paris, simplement Paris. C’est que je traverse d’un pas rapide, mon ordinateur sous le bras, un centre névralgique des déplacements européens.

Lyon Part Dieu
Mais qu’importe, j’avance tout droit, parce que j’ai une école à rejoindre, un rendez-vous, une bibliothèque dans laquelle errer ou des archives à étudier. La douce voix de la SNCF répète inlassablement « Lyon Part Dieu, ici, Lyon Part Dieu » et cette répétition m’étonne à chaque fois. Les policiers en uniforme scrutent toujours les gens qui ne font que passer, dans leur éphémère immédiateté. Je virevolte sans cesse entre les voyageurs d’un jour et croise parfois ceux qui font ces déplacements quotidiens. D’un regard, on comprend mutuellement qu’on partage un peu notre quotidien, sans se connaître. Mais moi je ne fais que traverser, je ne fais qu’avancer d’un pas vif et déterminé vers la sortie pour respirer un peu, sortir de ce hall grouillant pour plonger dans les longues rames de métro. De toute façon, on ne m’attend pas de l’autre côté du quai. Je transite beaucoup d’un endroit à un autre, mais ces endroits sont toujours les mêmes. Et je reviens toujours par la gare, parce que ce hall de vie est un peu et malgré lui le mien. Je l’ai traversé en vélo à trois heures du matin, j’y ai vu de nombreux amis quitter la ville en se retournant, sur le quai et ai retrouvé des amours trop longtemps éloignés. J’y ai mangé mon premier repas lyonnais et c’est un peu là-bas que tout a commencé.
J’ai toujours un petit pincement au cœur quand je vois la dernière étreinte sur le quai.