Le vide du côté gauche

Si ce n’est toi, c’est donc ta sœur. Ou ton amie. Ou ton inconnue. Celle que l’on croise tous les jours dans le métro et que l’on a envie de détester, juste comme ça, juste pour un coup de coude maladroit, juste parce qu’il faut bien une soupape et que ce matin, ça sera toi. Sans raison ou plutôt pour toutes les autres raisons que je ne saurais exprimer.

J’ai besoin de ton visage pour cristalliser en lui l’ensemble de ma colère. J’ai envie de te regarder dans les yeux et de te cracher ma rancoeur au visage. Ce visage que j’imagine aussi indigne que ce qu’il a sauvagement arraché, ce qui m’appartenait ou du moins devait m’appartenir, ces cheveux rasés qui me paraissent aussi répugnants que ces tentatives avortées de voir plus loin, de te projeter, de spolier ce qui n’est ni tien mais plus vraiment mien. Et ce faux prénom de sagesse qui m’en rappelle ton absence. Tes lèvres immondes de gorgone me révulsent, elles me tordent les tripes et me donnent envie de hurler mon dégoût.

Premier électrochoc : ce n’est pas ta faute mais ne sois pas non plus mon Valmont.

Et il y a l’autre. L’autre, cette lumière ombragée qui vole l’énergie, ce trou noir de l’existence qui aspire et ne rend jamais. Cette voleuse d’idéaux, cette Circée de pacotille qui a confondu le vide de son existence avec la profondeur de ton être. Celle que j’ai dû accepter malgré moi, parce qu’il faut parfois savoir rendre les armes pour mieux refuser ensuite.

C’est étrange la tristesse, ça fait comme une poche de vide du côté gauche. Puis ça serre au milieu.

Et puis encore l’autre. Comme un roman choral, l’autre, la consœur apatride, la visiteuse de l’autre monde, la voyageuse de l’autre cadran. Avec douze heures d’avance, c’est autant d’heures qui échappent à notre simultanéité. C’est plus facile, c’est hors du temps, c’est hors de mon existence. Pardonne-t-on ce qui est d’une autre escale ?

Victimes collatérales, coupables idéales, bouc-émissaires d’une situation qui vous dépassent, vous êtes tout ce que je ne peux comprendre et pourtant, vous êtes. Votre virtualité bleue n’est pas plus éphémère que mon envie d’effacer votre présence ici et maintenant.

Je m’assois. Perfectionniste devant le désordre, je ferme les yeux.

Aéroport vide. Le gobelet du chocolat chaud trop sucré l’est tout autant.

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