10/14/17

Jeu de rôle – Clémentine

Je les ai regardés se disputer cachée dans l’obscurité de ma chambre. Quand tombe la nuit à Paris, rares sont ceux qui pensent à immédiatement fermer leurs volets. C’est le cas du couple Vuillemin que je regarde vivre de temps à autre. Ils sont fascinants les Vuillemin, fascinants dans leur façon de jouer des rôles selon qu’il soit devant ou derrière leur porte d’entrée. La fenêtre de ma chambre donne directement sur leur salon. En me penchant un peu, je peux également admirer leur chambre et un morceau de leur salle de bain. Celle que je préfère regarder, c’est Madame de Vuillemin. Avec ses grands airs, ses boucles d’oreilles toujours assorties et sa coiffure toujours propre, c’est moi qui ai décidé de l’appeler Madame de Vuillemin. Son vrai nom, c’est Vuillemin et c’est le nom de son mari. Mais je trouve que la particule lui va si bien. Il m’est d’ailleurs déjà arrivé une fois de lui dire « Bonjour Madame de Vuillemin » quand je l’ai croisée dans le couloir. Elle a haussé les sourcils et a répondu un « bonjour » qui signifiait « c’est qui celle-là ? ». Mais moi, j’ai bien vu qu’au fond, ça lui avait fait plaisir. Le matin, elle part travailler toujours à la même heure : à 7H05 tapantes, elle traverse la cour qui sépare nos deux immeubles pour se rendre à son bureau. En discutant un peu avec papa et maman, j’ai cru comprendre qu’elle travaillait dans un grand lycée parisien mais je n’ai pas réussi à savoir lequel. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas le mien. Papa n’a pas été capable de me dire ce qu’elle y faisait mais à bien regarder ses tenues, je pense qu’elle doit être quelque chose comme principale. Ou peut-être prof de français. Il y a beaucoup de livres dans le salon et son mari n’a pas l’air d’être un grand lecteur. J’imagine que ça doit être elle du coup.

Je l’aime bien, Madame de Vuillemin, même si elle n’a pas l’air heureuse. Son mari s’absente souvent et je la vois souvent plusieurs jours d’affilée seule à regarder la télé le soir, même si elle a parfois la compagnie. Des copines qui viennent boire du vin ou des hommes qui passent lui rendre visite. J’ai remarqué qu’il y en avait un en particulier qui venait régulièrement mais je n’ai pas encore compris qui il était. Peut-être son frère. Mais il arrive ces derniers temps assez souvent à Madame de  Vuillemin de se pencher à la fenêtre de salon et de fumer des cigarettes avec un regard particulièrement vide. Quand elle fait ça, je fais attention à ne pas me faire remarquer même si j’ai envie de la scruter encore plus en détails. C’est quand elle pense que personne ne la regarde qu’elle dévoile son vrai visage et on peut y lire beaucoup de mélancolie. Elle tire sur sa cigarette comme si elle avait besoin de remplir toute sa cage thoracique de quelque chose, pour ne pas être totalement vide. Elle fume souvent tardivement, vers 22 heures ou 23 heures. C’est pratique pour l’observer car je n’ai qu’à faire semblant de dormir, en laissant un interstice dans mes volets pour regarder. Ces derniers temps, elle porte un peignoir de soie japonais. Elle est belle dedans, j’aimerais bien avoir son élégance plus tard, c’est une dame, Madame de Vuillemin, même quand elle a les cheveux en bataille ou même quand elle a le regard vide de celle qui se demande pourquoi elle fait ce qu’elle est en train de faire.

Alors elle fume, je la soupçonne parfois de pleurer et elle s’endort seule dans un grand lit certainement un peu vide comme elle, mais le lendemain, à 7h05, je l’observerai passer dans le couloir qui mène à la porte d’entrée de notre immeuble commun et elle sera un mélange impeccable de distinction et d’autorité. D’ailleurs je reconnais désormais sa présence au claquement sec de ses talons sur le béton. Il y a quelques femmes à talons dans la résidence et c’est amusant d’essayer de deviner qui elles sont à travers le bruit de leurs pas.

07/30/17

Up in the Air

La seule chose dont je me souviens, c’est le ronronnement réconfortant du moteur qu’on allume. Un bruit reconnaissable parmi tant d’autres, mais dont la puissance me donne une sensation de sécurité. Je suis assise dans un fauteuil, la tête appuyée contre le hublot. Je n’ai même pas eu le temps de voir le décollage.

Lorsque j’ouvre à nouveaux les yeux, il n’y a que du bleu à l’horizon. Parfois quelques touches de blanc, de celles qui secouent quelques instants et qui peuvent parfois lever le cœur, mais généralement ce n’est qu’un nuancier cyan dans le ciel. Au-dessus des nuages, loin des tumultes de la terre ferme, nous volons. 

Je ne sais pas vraiment où nous sommes et à vrai dire, cela me rassure. Ce vol, c’est un moment de quiétude arraché à la vie réelle, un apaisement octroyé par la force et qui ressource. Qui que vous soyez, je ne serai pas joignable. Vous ne saurez pas même où je me situe sur la surface du Globe : pour la seule fois de la journée, je vous échappe. J’échappe au reste du monde et je peux enfin être moi-même. Je peux lire ce livre tant de fois commencé et jamais terminé, prendre le temps de découvrir les journaux coincés au niveau de mes genoux et même discuter avec mon voisin. Une hôtesse me demande si je préfère le salé ou le sucré. Les nuages me font penser à des montagnes de Marshmallows. Ce sera sucré pour cette fois.

Parfois, à travers le hublot, il est possible de distinguer nos voisins des airs. D’autres avions quadrillent le ciel en laissant une traînée blanche derrière eux. Voie lactée de vapeur d’eau, vous êtes la preuve que si les hommes peuvent toucher le ciel, cela sera de manière éphémère. Promis, nous ne faisons que passer.

Le bourdonnement continue de mon navire céleste me berce à nouveau. Je ferme les yeux.

L’avion est plein. Mon cœur l’est tout autant.

07/24/17

Quatrièmur mur – bis

A force d’y aller il fallait bien que je me mette à en parler.

Parce que le théâtre est une passion

Parce que l’écriture me rend heureuse

Parce que cela vous donnera peut-être envie d’y aller ou de m’y rejoindre

J’ai décidé d’associer les deux pour donner naissance à un nouveau projet

Vous pouvez désormais suivre mes pérégrinations de Paris ou d’ailleurs sur

http://quatrieme-mur.fr

 

07/23/17

Le vide du côté gauche

Si ce n’est toi, c’est donc ta sœur. Ou ton amie. Ou ton inconnue. Celle que l’on croise tous les jours dans le métro et que l’on a envie de détester, juste comme ça, juste pour un coup de coude maladroit, juste parce qu’il faut bien une soupape et que ce matin, ça sera toi. Sans raison ou plutôt pour toutes les autres raisons que je ne saurais exprimer.

J’ai besoin de ton visage pour cristalliser en lui l’ensemble de ma colère. J’ai envie de te regarder dans les yeux et de te cracher ma rancoeur au visage. Ce visage que j’imagine aussi indigne que ce qu’il a sauvagement arraché, ce qui m’appartenait ou du moins devait m’appartenir, ces cheveux rasés qui me paraissent aussi répugnants que ces tentatives avortées de voir plus loin, de te projeter, de spolier ce qui n’est ni tien mais plus vraiment mien. Et ce faux prénom de sagesse qui m’en rappelle ton absence. Tes lèvres immondes de gorgone me révulsent, elles me tordent les tripes et me donnent envie de hurler mon dégoût.

Premier électrochoc : ce n’est pas ta faute mais ne sois pas non plus mon Valmont.

Et il y a l’autre. L’autre, cette lumière ombragée qui vole l’énergie, ce trou noir de l’existence qui aspire et ne rend jamais. Cette voleuse d’idéaux, cette Circée de pacotille qui a confondu le vide de son existence avec la profondeur de ton être. Celle que j’ai dû accepter malgré moi, parce qu’il faut parfois savoir rendre les armes pour mieux refuser ensuite.

C’est étrange la tristesse, ça fait comme une poche de vide du côté gauche. Puis ça serre au milieu.

Et puis encore l’autre. Comme un roman choral, l’autre, la consœur apatride, la visiteuse de l’autre monde, la voyageuse de l’autre cadran. Avec douze heures d’avance, c’est autant d’heures qui échappent à notre simultanéité. C’est plus facile, c’est hors du temps, c’est hors de mon existence. Pardonne-t-on ce qui est d’une autre escale ?

Victimes collatérales, coupables idéales, bouc-émissaires d’une situation qui vous dépassent, vous êtes tout ce que je ne peux comprendre et pourtant, vous êtes. Votre virtualité bleue n’est pas plus éphémère que mon envie d’effacer votre présence ici et maintenant.

Je m’assois. Perfectionniste devant le désordre, je ferme les yeux.

Aéroport vide. Le gobelet du chocolat chaud trop sucré l’est tout autant.